Regards sur l'écriture de Nicole Hardouin
Dès lors, dans vos textes, je suis bien (...) Que m'intriguent et me plaisent ces poèmes " coups de gorge" de la sensibilité, propre à lézarder mon présent. Vous avez le goût et le don certain de l'image verbale et de belles violences en poésie.
Luc ESTANG, poète, romancier, grand prix de l'Académie française
Ces quelques lignes vous diront combien j'ai été touché au coeur ; vos préoccupations spirituelles, ésotériques m'ont mené en pays de connaissance et de communion...J'ai joie à vous exprimer mon estime pour votre travail d'une qualité, d'une ferveur rares et entièrement authentique
Jean Claude RENARD, poète, grand prix de l'Académie française
J'ai lu avec intérêt ce grand poème puisé aux meilleures sources.. La poésie n'est-elle pas seule capable de sonder les abîmes de l'être ! Toutes mes félicitations. J'aime cette oeuvre qui donne à réfléchir.
Pierre OSENAT, poète, critique littéraire
Bravo d'avoir jeté le masque, laissez votre besoin de vivre jaillir...J'ai toujours pensé qu'un jour, qui que nous soyons et que nous ayons à préserver, il nous faut démolir pierre à pierre nos systèmes de défense, y compris" nos temples", souvent les plus aimés et qui le sont presque toujours de notre ego.
Pierre EMMANUEL, poète, membre de l'Académie française
Reconnaissons à Nicole Hardouin le courage d'avoir voulu mettre, à l'instar de l'Oiseleur , sa nuit en plein jour .Dans l'entrelacs de ses poèmes, c'est le fil d'Ariane qui nous guide ; nous apercevons ici et là l'inconnu du monde et, tel un éclair son propre moi. Elle est la gardienne du silence, son état de veille la tient à l'entrée du mystère puisqu'il est établi - depuis Jean Cocteau - que le sommeil en est la porte. Elle conduit ce processionnal de la psyché en poète, avec la certitude inconsciente que nous saurons déchiffrer son parcours nuancé et protéiforme dont nous saisissons d'instinct qu'il est gravé de nostalgie.
Yves LEROUX FRONTENAC, écrivain
Vous libérez des feux ardents, cette luxuriance de mots et de fantasmes qui s'avancent au bord de la falaise vertigineuse de la jouissance donne à votre écriture un étrange parfum musqué, assez exceptionnel, c'est toute une musique qui se houle. C'est un voyage qui ne laisse pas indifférent.
Alain DUAULT, poète, écrivain, critique, grand prix de l'Académie française
Votre livre m'a beaucoup touché, les Noyés du ciel qui l'accompagnent m'ont ému.
Pascal QUIGNARD, écrivain, lauréat du prix Goncourt 2002
Le nouveau livre de Nicole Hardouin – Fontaines carnivores – marque un tournant dans son travail d’écriture. Cette fois-ci, les traits sont épurés, l’écriture cursive, la rhétorique sobre. Du coup, comme chez Eugène Guillevic, les mots pèsent de tout leur poids :
J’avais encore du sel au bout des cils vous habitiez l’océan.
Je suis transparente comme un amour sans rêve.
Cendre blanche.
Jean-Pierre SUEUR, maître de conférence, sénateur du Loiret, ancien ministre
L' oeuvre de Nicole Hardouin reste pour nous l'expression d'une subjectivité où le talent donne aux lecteurs la possibilité de pénétrer, en quelque sorte par effraction, et d'un tempéramment attesté par la vigueur du style, par l'ardente passion qui se dégage de son oeuvre, par l'élan qu'elle met à traiter et à transformer les différents thèmes qu'elle nous propose.
Antoine de Matharel, critique, écrivain
Antoine de Matharel, critique, écrivain
Héraldiste de l'errance, Nicole Hardouin explore les " chemins de neige" et " la sente de l'inadvenu". Elle voyage sur les hauteurs glacées, dans les effluves du jasmin, entre les sources et les gouffres. Il n'y a pas de retour, donc pas de nostalgie. Juste quelques découvertes essentielles : le désir, la folie, la soif." Oiseau sans port, sans nid", Nicole Hardouin trace un sillage au vif de nos songes, sans se retourner, ( ne pas oublier Orphée). A nous de plonger avec elle dans des flamboyances, à nous de prendre avec elle les chemins qui ne mènent pas
Jean Louis Bernard, poète, critique
Jean Louis Bernard, poète, critique
Prométhée, nuits et chimères, de Nicole Hardouin,
Editions de l’Atlantique, 2011
Nicole Hardouin déplace l’ordre du temps, elle détient cette éclectique prévoyance d’ériger une passerelle reliant le mythologique au mystique.
Elle livre ici un recueil né d’une larme d’argile et d’une pincée de sable où l’âme assoiffée se désaltère au nombre d’or de l’Amour.
Nous nous laissons envelopper, en nuances transparentes, par des brumes aux ambiances singulières : chats des chemins creux, vigies errant entre tours de cristal et clairières sacrées, nous partageons de fugitives apparitions inquiétantes : en larmes, les chrysanthèmes écoutent la conférence des squelettes, voire sulfureuses : des caresses s’inventent dans l’échancrure des patenôtres.
Les jeux charnels qui sommeillent en nos cavernes se réveillent : Eros et Thanatos rôdent autour des racines du ciel.
Nicole Hardouin nous invite à ouvrir les portes du songe, à franchir l’épreuve des ténèbres en compagnie de Prométhée.
Ce recueil, don d’absolu, est une oraison où le verbe, parfaitement maîtrisé, se charge d’atomes mémoriels.
Il s’avère donc nécessaire d’avancer sur la pointe des pieds pour ne pas trahir les confidences.
Michel Bénard
https://revue-traversees.com/2012/09/
Photographie Jean Louis Courtois
Prométhée, nuits et chimères
Les iris noirs
Il faut se méfier des portes du songe qu’ouvre Nicole Hardouin. Sous le mythologique, le réel veille. La poésie prend appui sur Prométhée à la clarté charnelle et dans un cérémonial presque païen. Tandis que des sœurs se mêlent aux gitanes, Lilith n’est jamais loin. Un dieu grec lui promet des plaisirs de la chair. Plaisirs provisoires, certes, mais qui laissent bien des traces non seulement dans le gras mais dans le cœur et les mots.
L’irrationnel s’infiltre et caresse le corps par l’échancrure mêmes des prières soudain prises de doutes. Feu des chimères : tout est là. L’amour comme la lumière veulent croire au miracle. Du poème surgissent les troubles de la vision. La raison se faufile mais se prend au jeu de l’imaginaire qui, sortant des chemins appris, refuse de porter des croix. Le sens est non-sens. L’inverse est vrai aussi.
Ainsi chaque animal humain devient fantôme à la recherche d’un contact charnellement mystique. Le mythologique endosse le rôle d’intercesseur, d’ « orgasmisateur » du quotidien. Il ouvre l’imperceptible chemin entre angoisse et extase. Mais lorsqu’on se réveille, et comme le rappelle la poétesse dans un incipit terminal de Pessoa, on se lève avec « des étoiles sur le visage » en souvenir de ce qui fut et ne fut pas.
Tout songe garde dans ce livre une réalité particulière. Elle fait renoncer aux peurs ancestrales. Et lorsque l’amour aura fini de saigner, ses échos pourront une fois de plus s’apprivoiser dans l’immense nuit où une insomniaque rêveuse veille. Elle met dans un écrin les accords de chants des sirènes, elle écoute gémir les grands voiliers, les radeaux conquérants puis grimpe dans sa Nef des fous.
Pour écrire, elle a volé le trident de Neptune afin d’en faire son porte-plume. Il devient le cordage du possible, et l’oiseau de vie. Les plombs fondent, le Pont des Soupirs se noie dans l’insolence de ses songes. Sa Lilith réclame un doge et un Casanova. Mais pas un Don Juan. Au flamboiement des bûchers de sa mémoire, les oracles se taisent, les loups hurlent dans la sensualité et la foudre d’arpèges sauvages.
Ce qui n’empêche pas qu’à chaque page la créatrice garde des yeux d’algue, des cheveux d’écume. Elle écoute les secrets bleu-croche d’un clavier océan, elle aligne les vagues et cherche un soleil noir. Elle est vraiment Lilith, la conquérante, la satanique, la blanche, la noire. Entre souffle et soufre, ses mots de sel et de soie tremblent tandis que, dans les voiles d’un ciel pourpre, à la douane des chimères, passe sa propre ombre, soyeuse, voluptueuse et corail des songes.
Jean-Paul Gavard-Perret
http://www.lelitteraire.com/?p=60111
Les semelles rouges
Ed. L’Harmattan, Paris, 2013
Décrocher les masques. Voilà bien le parcours que Nicole Hardouin nous propose pour un roman à la fois poétique par sa plume et psychologique par son contenu. Roman poétique : l’expression est-elle appropriée ? Ne pensez pas au Roman de la Rose. Et surtout pas à un roman à l’eau de rose, vous seriez à l’opposé de la réalité. Car, au fond, quelle est la différence entre un roman de gare, genre Série rose et des ouvrages en prose serrée, tels Les Misérables d’Hugo, Madame Bovary de Flaubert ou Le nœud de vipère de Mauriac ? La force de l’intrigue, la puissance des personnages, certes, mais surtout leur style : c’est bien la qualité, la densité de l’écriture, le cisèlement de la phrase qui donnent force à telle ou telle écriture. Comme on détecte du Caravage, du Cézanne ou du Dali, l’on identifie à chaque page la patte d’un Zola ou celle d’un Camus. Voilà pour les génies.
Or, ce chaudron des mots où se retrouvent images et silences, métaphores, syncopes, symboles, raccourcis, oxymores et autres outils du forgeron, ce foyer où se retrouve en flammes et en cendres la substance même de ce que l’on appelle littérature, ce langage à l’intérieur du langage n’est-il précisément de nature intimement artistique, je veux dire poétique ? On clame ici et là que la poésie est morte. Ouvrons les yeux : elle se cache, entre autres, dans toute prose de qualité, car c’est elle-même qui en donne l’épaisseur, le relief, le fumet, la saveur, la signature, j’allais dire la génétique. De fait, ces Semelles rouges sont brûlot, condensé de secrets, douloureuse alchimie, verbe mariné dans l’alcool de la passion, en un mot, écriture poétique.
Roman psychologique : depuis Tristan et Iseut, a-t-on inventé quelque chose ? Toute histoire n’est-elle peu ou prou celle d’un amour ? Eros et Thanatos. Vie et mort, attirance et rejet, mouvement centripète et centrifuge, électron perdu et noyau (familial) retrouvé, sensualité égarée, jalousie, affections illégitimes, inceste, solitude, éternelle recherche de l’autre, de soi-même, finalement. Telle est l’humaine condition que partagent même les êtres de l’Olympe et ceux de la Bible, d’ailleurs. Avec une maîtrise rare, Nicole Hardouin mène le lecteur par la main, l’égare, lui révèle des lueurs au gré d’une intrigue peu commune, d’une action réaliste, parfois cruelle. Brûlure d’être pour Hermine et Crécy, détestation de ce Dérac, célèbre spécialiste de Proust mais finalement homme en loques. Attirance et fascination.
Oui, l’écrivain bourguignon aurait pu être psychiatre : elle est devenue femme de lettres, chercheur, papillon redessinant la flamme ; elle aurait pu être psychanalyste, cachée derrière un divan : elle a pris le risque d’écrire, de révéler ces personnages : mais n’écrit-on, au bord du chaudron onirique, sans se faire éclabousser par son propre inconscient ?
Lire Les semelles rouges, c’est décrocher son masque de tous les jours, perdre un peu de son propre sang, ou, en tout cas, quelques écailles de son vernis (voir l’œuvre de Hughes de la Taille en première de couverture). C’est emprunter le burin du poète mais également le vol de Psyché : en d’autres termes, se risquer au bord du mot, au bord du rêve, aussi. Quête artistique, quête existentielle ? N’est pas lecteur d’Hardouin qui veut !
C.L. https://revue-traversees.com
Photographie André Chaussat
Entretien avec Nicole Hardouin
Qu’est-ce qui vous fait lever le matin ?
La crainte de ne le pouvoir.
Que sont devenus vos rêves d’enfant ?
Un livre scellé, repaire de l’informulé.
A quoi avez-vous renoncé ?
A effeuiller l’antiphonaire des accords d’aube.
D’où venez-vous ?
D’un jardin sans Eden, du sérail d’un regard.
Qu’avez-vous reçu en dot ?
Une bougie pour vivifier les ombres et organiser l’espace.
Qu’avez vous dû “plaquer” pour votre travail ?
Tout ce que j’ai récolté et entassé dans les charrois de l’indifférence.
Un petit plaisir — quotidien ou non ?
Le cri du silence, Casanova dans les fontes des plombs.
Qu’est-ce qui vous distingue des autres artistes ?
Ma place à la proue de la Nef des Fous
Où travaillez vous et comment ?
Enclose dans une bure, à l’ombre d’un lutrin sur lequel l’aigle étend ses ailes enclouées, et pourtant il s’envole.
Quelles musiques écoutez-vous en travaillant ?
Celle des sphères donc celle de la forge initiale.
Quel est le livre que vous aimez relire ?
Celui qui n’est pas encore écrit.
Quel film vous fait pleurer ?
Le film qui fait rire les autres.
Quand vous vous regardez dans un miroir, qui voyez-vous ?
Un jardin premier où tout est à créer.
A qui n’avez-vous jamais osé écrire ?
A celui qui n’est pas encore né.
Quel(le) ville ou lieu a pour vous valeur de mythe ?
Là, où j’irai mourir.
Quels sont les artistes dont vous vous sentez le plus proche ?
Les disciples de Noé, les pierres dans leur tension charnelle.
Qu’aimeriez-vous recevoir pour votre anniversaire ?
Un éphéméride à l’envers.
Que défendez-vous ?
Les rêves d’hiver qui se dégustent à la table des anges.
Que vous inspire la phrase de Lacan : “L’Amour c’est donner quelque chose qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas”?
Les escaliers qui mènent dans le haut de la tour ne se trouvent pas dans la tour elle-même.
Enfin que pensez vous de celle de W. Allen : “La réponse est oui mais quelle était la question ?”
Seul l’invisible porte l’originel.
propos recueillis par Jean-Paul Gavard-Perret pour le
litteraire.com en janvier 2013
http://www.lelitteraire.com/?p=6078=
Les éclopés du rêve
Histoires courtes de Nicole Hardouin
Les impliqués Éditeur, Paris, 2016
_____________________________________________
Ascèse ébréchée, silence qui s'effrite... Par sa prose poétique, Nicole Hardouin nous propose une brassée de contes fantastiques issus d'un monde onirique. Le magnifique tableau de l'artiste-peintre Gil Pottier reflète bien, sur la première de couverture, une manière d'inquiétude, voire de désespérance que l'on perçoit à la fin de chacun de ces textes courts. Toutefois, le corps du texte n'est pas triste . On y perçoit un humour acidulé, un tableau balzacien de la société, des caractères attachants jetés sur papier comme autant d'esquisses. Bien entendu, l'ironie ne va pas sans tendresse, voire un zeste d'érotisme. Univers contrasté, tantôt à la Chagall, tantôt à la Munch : l'être vole ou se déchire, se joue d'une apesanteur colorée ou hurle en sa solitude démesurée.
Dans sa préface , l'écrivain et critique Jean-Paul Gavard-Perret souligne à juste titre cette traversée des temps. Au pluriel, car chaque personnage a sa propre équation temporelle, son rythme singulier. Ces légendes empruntent d'ailleurs leurs références tout autant à la civilisation grecque (Midias, par exemple) qu'au Moyen Âge (allusions à Villon), à la vie romaine qu'à un tableau de Soulages, à telle réception mondaine qu'à la taïga russe et ses immensités peuplées de loups (bien particuliers, d'ailleurs). Tour à tour, le lecteur est entraîné sous des arcatures mauresques ou dans l'ombre démesurée de l'église de Larchant. Frottements intimes entre diamants orientaux et salles capitulaires.
Chaque fois, Hardouin recrée en quelques lignes une atmosphère qu'elle ne clôt surtout pas de manière définitive car toute chute du conte, bien que grave, laisse place au rêve : songe ébréché aux connotations tragiques mais dont l'intemporalité laisse une manière d'espoir.
Revenons au style particulier de cet auteur qui s'est déjà affirmé dans nombre de recueils poétiques reconnus par ses pairs. Avant tout, Nicole Hardouin a le sens inné de la rencontre des mots. Création instinctive, j'allais dire volcanique d'images : Dans le square encore fermé, le brouillard du matin, architecte fantasque, s'amuse à mille facéties. Il accroche ici et là des touffes de brume, habille les chênes d'un fourreau mœlleux, estompe les impatiences pour les transformer en émergences ouateuses.
Par leurs dialogues syncopés et leurs tourments, ces éclopés de la vie ont peuplé nos rêves, le temps d'une lecture émerveillée.
Claude Luezior
https://revue-traversees.com/category/chroniques/chroniques-de-claude-luezior/
Les éclopés du rêve
Histoires courtes de Nicole Hardouin
Les impliqués Éditeur, Paris, 2016
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Ascèse ébréchée, silence qui s'effrite... Par sa prose poétique, Nicole Hardouin nous propose une brassée de contes fantastiques issus d'un monde onirique. Le magnifique tableau de l'artiste-peintre Gil Pottier reflète bien, sur la première de couverture, une manière d'inquiétude, voire de désespérance que l'on perçoit à la fin de chacun de ces textes courts. Toutefois, le corps du texte n'est pas triste . On y perçoit un humour acidulé, un tableau balzacien de la société, des caractères attachants jetés sur papier comme autant d'esquisses. Bien entendu, l'ironie ne va pas sans tendresse, voire un zeste d'érotisme. Univers contrasté, tantôt à la Chagall, tantôt à la Munch : l'être vole ou se déchire, se joue d'une apesanteur colorée ou hurle en sa solitude démesurée.
Dans sa préface , l'écrivain et critique Jean-Paul Gavard-Perret souligne à juste titre cette traversée des temps. Au pluriel, car chaque personnage a sa propre équation temporelle, son rythme singulier. Ces légendes empruntent d'ailleurs leurs références tout autant à la civilisation grecque (Midias, par exemple) qu'au Moyen Âge (allusions à Villon), à la vie romaine qu'à un tableau de Soulages, à telle réception mondaine qu'à la taïga russe et ses immensités peuplées de loups (bien particuliers, d'ailleurs). Tour à tour, le lecteur est entraîné sous des arcatures mauresques ou dans l'ombre démesurée de l'église de Larchant. Frottements intimes entre diamants orientaux et salles capitulaires.
Chaque fois, Hardouin recrée en quelques lignes une atmosphère qu'elle ne clôt surtout pas de manière définitive car toute chute du conte, bien que grave, laisse place au rêve : songe ébréché aux connotations tragiques mais dont l'intemporalité laisse une manière d'espoir.
Revenons au style particulier de cet auteur qui s'est déjà affirmé dans nombre de recueils poétiques reconnus par ses pairs. Avant tout, Nicole Hardouin a le sens inné de la rencontre des mots. Création instinctive, j'allais dire volcanique d'images : Dans le square encore fermé, le brouillard du matin, architecte fantasque, s'amuse à mille facéties. Il accroche ici et là des touffes de brume, habille les chênes d'un fourreau mœlleux, estompe les impatiences pour les transformer en émergences ouateuses.
Par leurs dialogues syncopés et leurs tourments, ces éclopés de la vie ont peuplé nos rêves, le temps d'une lecture émerveillée.
Claude Luezior
https://revue-traversees.com/category/chroniques/chroniques-de-claude-luezior/
Photographie Gil Pottier
Nicole Hardouin, Fontaines carnivores
Editions L.G. R. Paris, 2010
Le livre de l’oubli
Il est parfois des livres qu’on rate à leur publication : ce n’est pas une raison pour les passer sous silence. Ils méritent une reconnaissance même tardive car leur force reste intemporelle. Fontaines carnivores de Nicole Hardoiuin fait partie de ces textes. Ce superbe poème suggère la force et l’impossibilité de l’amour. Et ce, loin de toute posture narcissique. Il échappe à l’aspect auto-fiction en donnant un sens général à une aventure humaine où beaucoup pourront se reconnaître. Tout est « dit » par la puissance allusive, coupante de la poésie sculptrice de sens. Nicole Hardouin y rappelle ce que Bernard Noël évoquait : « Le corps n’a pas lieu tout le temps ». Il faut entendre par ce mot chez la poétesse non seulement la chair mais ce qui la façonne d’âme, de cœur, de conscience et d’inconscient. Ce dernier joue des tours : il empêche la perspective d’atteindre toute échéance.
La seule suite « logique » de l’amour reste son arrêt et l’inaccomplissement son verdict. Non par manque de sentiment ou parce qu’un des partenaires irait voir ailleurs. Ce serait trop « facile ». Mais « simplement » parce que sa progression est forcément entravée : « Monsieur, aujourd’hui je vous ignore, enfin j’essaie ! / Je pose une à une les épingles sur la table basse » écrit celle dont le « je » est entravé au non d’un traumatisme d’enfance, d’une injonction première : « Dès l’origine le socle s’est figuré, pourquoi aurions-nous résisté ? ». Pas besoin d’entrer plus à fond dans les détails. La chambre se referme sur la solitude car celle de la mémoire conserve la neige. Elle en entretient les cristaux si bien que « les oiseaux ont des ailes de glace ». Ils ne peuvent faire autrement, passer outre la règle première pour autrement vivre.
L’impossible de l’amour reste la seule clé car l’identité de certains êtres est si fissurée que toute union ne peut être que caressée, lointaine, inaccessible. Nicole Hardouin illustre ainsi parfaitement la phrase de l’empêchement telle que la scella Michaux : « Au commencement la répétition ». La coïncidence espérée restera toujours défaite. Tout Eden est de cendres. Tout se passe comme si l’être ne pouvait se vivre et n’exister que par éclaircies ajoutées les unes aux autres sans pour autant créer un barrage à l’inéluctable de la fuite.
Reste la fragilité des jours. Le temps s’oppose à toute construction de l’amour en son pas au-delà du cerclage. Son trop brûlant — ou son trop glacé — représente l’interdit. La sensualité elle même n’y peut rien. Etant délié de lui-même dès l’expérience première, l’être ne pourra que vivre seul. Les corps accords resteront toujours une vue de l’esprit. « Demain l’absence » écrit la poétesse. Elle fut là de toujours.
Jean-Paul Gavard-Perret
www.lelitteraire.com/?p=15092
Photographie Gil Pottier
Nicole Hardouin : UN STYLE HORS DU TEMPS
Dire le désert, le minéral, l'incommunicabilité des êtres, l'arrière-plan des étoiles, l'inconscient, le crépuscule, l'escale. Nicole Hardouin, que les lecteurs de Poésie sur Seine connaissent bien, a retrouvé un cahier d'il y a plusieurs dizaines d'années, dans lequel elle avait soigneusement consigné de nombreux poèmes. Il nous est apparu passionnant d'en partager quelques uns à la lumière de son parcours littéraire. "Tout est là", nous semble-t-il. Ou presque. De manière germinale, certes : reviendront en boucle, le style syncopé, les incantations et métaphores, la lumière caravagesque, l'inquiétude, cette sorte de mythologie très personnelle entre chamanisme celtique et chemin de croix. "Presque tout est là", palpitant, embryonnaire. Et pourtant...
Dans ces Poèmes d'hier, dont une poignée est reproduite ci-après, Hardouin interpelle déjà le lecteur-partenaire en une immédiateté presque biblique : je te donne trois fruits 1, l'interroge : pourquoi ? 2 s'interroge : serait-ce déraison ? 3
FOLIE scande ses strophes : Et s'il me plaît / à moi démone (...) Et s'il me plaît / à moi sirène (...), procédé que l'on retrouvera, par exemple dans L'ombre d'une flûte: Qui saurait dire le vert de l'herbe (...) Qui saurait dire le silence sépulcral (...)4
La poétesse revêt tantôt les habits de Mélusine 5, tantôt ceux de Lilith, la conquérante, la satanique 6, s'habille de flammes 7, se fait vouivre sur la margelle d'une prière 8.
À noter cette attirance magnétique pour l'inachevé 9 du temps qui passe : Je retiens l'horloge du jour 10. Mais aussi pour ces bourrasques de volupté 11 à la lisière de l'imperceptible entre angoisse et extase 12, alors que, mains moites de brume originelle, je palpe vos songes 13.
On pourrait ainsi multiplier les exemples de thèmes récurrents, d'interrogations, de processus de pensée qui, "depuis toujours" semblent habiter cette poétesse et qui débordent par un volcanisme apparemment inépuisable. L'on notera toutefois, comme Antoine de Matharel dans sa Postface du Rire de l'Ombre, le profond tropisme d'un paysage intérieur où l'image cesse de servir de décor à une histoire ou même à une confession. Elle est elle-même le corps du poème, en constitue l'articulation, au même titre que la couleur, chez Cézanne...
À l'heure actuelle, il est vrai que Nicole Hardouin écrit davantage en prose, en une manière de poésie horizontale. Où le condensé et la force ne cèdent en rien aux architectures verticales. Avec une sorte de continuum déjà présent en 2011: Quelques vampires repus auraient-ils essuyé leurs lèvres sur ce décor mouvant ? 14 , mais également dans les Noyés du ciel dès 1994 : D'un bouillonnement ourlé de psalmodies, une femme s'élève.
Soie sauvage nous semble d'ailleurs être un trait d'union entre l'horizontalité de la prose poétique chez Hardouin et sa plume verticale. On est toujours dans la rencontre des mots, la découverte de sens inédits, le questionnement métaphysique, les certitudes secouées au pied des gibets, mais le flux est néanmoins davantage cartésien, comme si le torrent se faisait source, certes encore tumultueuse : Depuis, j'ai froid comme des lèvres sans secrets (...) Albatros sans ailes, Arabie sans parfums, lierre sans griffes, miroir sans visage (...) Je suis blessée d'amour. 15 La braise du poème s'est faite feu, mordant toute page blanche, obsédante, magnifique.
Si Nicole Hardouin est avant tout poète, douée d'une stupéfiante prodigalité, sa plume s'exerce également au roman dans Les semelles rouges. Intrigue bien charpentée, dont l'issue est loin d'être convenue, dialogues vivants et humour y cohabitent en prise directe avec la vie de tous les jours. Sans que le poète ne parvienne à sacrifier son âme : Deux bras puissants m'entourent, des baisers glissent comme soie sur ma nuque, prennent possession de mes gémissements, les fantasmes font trembler le feu (...) Les nuages sont encore chiffonnés de songes, le ciel change de décor dans les bâillements du vent, quelques flocons légers effrangent l'horizon, l'aube corsète les dernières étoiles.16
L'on retrouve gravité et allégresse dans un dernier ensemble de nouvelles décapantes publiées en 2016 : la créatrice reste la sourcière armée de la seule arme essentielle, travaillée et retravaillée : son langage. 17 Grâce à celui-ci, le lecture parvient à transcender la noirceur de l'histoire, le monde dantesque d'Hardouin. Comme l'a déjà remarqué Michel Bénard dans sa Préface de Prométhée, Nuits et Chimères : De temps à autre, l'inquiétude pourrait nous saisir (...) Néanmoins, notre poétesse se fait un guide remarquable, nous laissant ébahis sur des chutes pertinentes. Elles illuminent le texte qui devient don absolu.
Un mot encore en ce qui concerne les illustrations en regard de ses textes. Il faut dire que Nicole Hardouin est avant tout visuelle. On ne trouve pas de concordance directe tableaux-poèmes, hors sur des sites tels www.couleurs-poésie.jdornac ou www.pandesmuses.fr et hors la première de couverture d'Hughes de la Taille pour Les Semelles rouges. Mais il faut bien dire que les gravures de Gérard Bouilly, l'encre de Silvaine Arabo et les huiles de Gil Pottier entrent bien dans une famille d'esprits.
Enfin, nous ne nous attarderons ni sur les poèmes qui ont fleuri en nombre dans diverses revues et anthologies, ni sur maints articles et recensions de l'écrivain bourguignon, dont les recherches sont toujours ciselées par une écriture de haut vol.
Depuis plusieurs décennies, Nicole Hardouin électrise le lecteur de son éloquence, de sa démesure parfois, de ses tourments convulsifs, de ses doutes sacrés. Intransigeante mais généreuse, elle explore, se remets sans cesse en cause. Bien que la trajectoire de son calame ait évolué, elle a gardé une unité de style, comme nous avons la chance de le voir avec ces poèmes anciens et d'aujourd'hui. Étonnante fougue au fil des années : ces soulèvements telluriques, ces opulences du verbe ne semblent se tarir. La chamane a-t-elle un secret ?
Claude LUEZIOR
www.claudeluezior.weebly.com
In Poésie sur Seine, janvier 2018, numéro 96. Les poètes du XXième siècle.
Notes de lecture :
1 Dans Le Rire de l'Ombre, 2007, ce sera : Pose-toi sur l'illusion du désert (p.65)
2 Dans Les noyés du ciel, 1994 : Comment accéder à votre connaissance ? (p. 33)
3 Dans Fontaines carnivores, 2010 : Tous les sacrifices sont-ils nécessaires ? (p. 59)
4 dans : Pierres de Brume, 2000 (p.64)
5 ci-après, dans FEMME
6 idem
7 dans : Une chevelure de pluie pour horizon, 1998 (p. 38)
8 dans : Soie sauvage, 2011 (p.5)
9 ci-après : NEGATION
10 dans : Pierres de Brume (p. 42)
11 ci-après : OFFRANDES INUTILES
12 ci-après : DES YEUX DE ROSEE
13 dans : Fontaines carnivores (p.22)
14 in : Soie Sauvage, 2011 (p.15)
15 idem (p. 10)
16 in : Les semelles rouges, 2013 (p.175)
17 in : Préface pour Les éclopés du rêve, 2016 (p. 12)
Photographie Jean Louis Courtois
Fontaines Carnivores, Editions L.G.R. Paris, 2010
Les Amants d'un Jour
Il est des vies qui n’apprennent que l'attente sans fin, le temps mort. Rien ne peut sortir d'un tel cerclage au nom d’une expérience première. La poétesse la passe sous silence. Mais c’est elle qui donne à « Fontaines carnivores » tout son sens oxymorique. Dès le premier regard - pourtant amoureux et sensuel - la séparation est programmée presque à corps ou âme défendant. Du texte émane le tragique de l’impossibilité. Les fantasmes ont beau pousser comme des herbes folles elles se fanent aussitôt. Et si la possibilité d’une île existe : nulle question d’arrivée à son port. Les aimants doivent descendre du train ou quitter le bateau. La seule solitude peut être programmée à terre perdue, à saveur de néant. L’amour (terme d’ailleurs ambigu) restera le territoire où rien n’est permis sinon quelques touffeurs. Inertie, énergie s'y chevauchent. Mais l’être restera rivé à sa solitude et sa prison premières. Ne demeure que la chute programmée « en bordure du ravin ». Un « ça n’a pas d’issue » s’enfonce, l’auteure ne peut qu’en soulever les écailles sur le matelas des songes. C’est en ce sens que l’“ acte ” d'écrire devient paradoxalement extatique, exorbitant. S'y produisent un renversement, un retournement, un basculement. Rares sont les poètes capable de restituer avec une telle précision abrupte un règne insurpassable, élémentaire. Les amants ne peuvent que marcher dans leurs chaînes. Ils ne seront toujours que des amants d’un jour.
Jean Paul Gavard-Perret
salon-litteraire.linternaute.com/fr/.../1926018-nicole-hardouin-et-les-amants-d-un-jou...
Les Amants d'un Jour
Il est des vies qui n’apprennent que l'attente sans fin, le temps mort. Rien ne peut sortir d'un tel cerclage au nom d’une expérience première. La poétesse la passe sous silence. Mais c’est elle qui donne à « Fontaines carnivores » tout son sens oxymorique. Dès le premier regard - pourtant amoureux et sensuel - la séparation est programmée presque à corps ou âme défendant. Du texte émane le tragique de l’impossibilité. Les fantasmes ont beau pousser comme des herbes folles elles se fanent aussitôt. Et si la possibilité d’une île existe : nulle question d’arrivée à son port. Les aimants doivent descendre du train ou quitter le bateau. La seule solitude peut être programmée à terre perdue, à saveur de néant. L’amour (terme d’ailleurs ambigu) restera le territoire où rien n’est permis sinon quelques touffeurs. Inertie, énergie s'y chevauchent. Mais l’être restera rivé à sa solitude et sa prison premières. Ne demeure que la chute programmée « en bordure du ravin ». Un « ça n’a pas d’issue » s’enfonce, l’auteure ne peut qu’en soulever les écailles sur le matelas des songes. C’est en ce sens que l’“ acte ” d'écrire devient paradoxalement extatique, exorbitant. S'y produisent un renversement, un retournement, un basculement. Rares sont les poètes capable de restituer avec une telle précision abrupte un règne insurpassable, élémentaire. Les amants ne peuvent que marcher dans leurs chaînes. Ils ne seront toujours que des amants d’un jour.
Jean Paul Gavard-Perret
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Notes de lectures par Nicole Hardouin
Chroniques sur le site Traversées
Ce léger rien des choses qui ont fui
Alain DUAULT, Éditions Gallimard, 2017
En quinze chapitres de « Ce léger rien des choses qui ont fui », Alain Duault rédige un grand Tout : chair dans laquelle il mord jusqu’au sang, juste avant le frisson mauve. À la margelle de ses nuits lasses, se dessine le souvenir, cheval noir qui galope dans les ténèbres.
Sur la mosaïque de sa mémoire brûlent les scories aux remous plus ou moins perceptibles, dans cette intime mythologie apparaissent désert et oasis, monastère et sultanat.
S’enroulent autour de lui des houles qui psalmodient des oraisons secrètes : j’ai si mal à la main perdue. S’entremêlent à la lassitude, les lavandières de l’amertume lavent les linges de la nuit, les violences du monde : j’ai de l’horreur plein les souliers.
S’inscrivent les interrogations sur la vie : pourquoi sommes-nous là ?Alain Duault, nautonnier des mots, arpenteur de sentes secrètes, répond en pinçant sa harpe charnelle : je cherche à tâtons sur ta peau / Des réponses à cette question de vivre.
Défile une voix, celle de Cécilia Bartoli, voix de crème et d’ambre, vague qui renverse tout, des visages dont : Nina, l’amour de Grieg. Des ombres aux yeux de rosée se réveillent dans la mantille de la nuit en brames sauvages, passionnels, Papa : se résout-on jamais à ce qu’un cœur si beau s’enraye.
Visage venu, revenu, qui êtes-vous, toi, vous qui habitez là où on n’habite pas ?
Le poète observe le retournement du sablier, les enfants meurent et nous restons, nous marchons dans l’épaisse forêt de l’âge ; sur ses rives de cendre et de soie, se pose le questionnement du passage du Seuil, tout le monde a peur du passage. Alain Duault sait, sent que aller au-delà est toujours angoissant : Dans la laisse insupportable d’une attente qui / N’a jamais de fin Pourquoi ces mains / Ne nous disent-elles pas quand elles remonteront le drap.
Délires, déclics, des coulées d’espoir pulsent aussi entre ronces blanches et épines du soir : je veux des clochers d’or, je veux courir dans l’eau du ciel, je veux chevaucher des nuages leurs plumes leurs dentelles jusqu’au congrès des brouillards.
A travers ce recueil, tout comme les couleurs trompent les ténèbres sur des lèvres en peau d’iris, la glace enfile des colliers de mots qui magnifient le feu, ses seins / Rose-thé que j’imagine encore tiède de plaisir. Mots de l’endroit ceux qui tentent encore, mots réverbères, mots calice pour offertoire interdit donc dit, mots tissés dans les murs du silence, comme les murs du labyrinthe de Dédale, murs aveugles avec l’ambiguïté de cent chemins qui se rompent, s’entrecroisent mais d’où l’on ne revient pas sauf à casser le fil d’Ariane.
Le lecteur méandre avec l’auteur dans des éclaboussures de cannelle, de poivre noir, à travers toutes ces pages irradie, la délicatesse : les enfants / Ils ont angles d’oiseaux dans les poche… Je suis sûr qu’ils pourraient nous / Apprendre mille et mille choses…Ce sont des enfants d’organdi. Pulse un puissant hymne à la passion : je ne suis jamais reparti de toi. Lèvres et langue raturent le souffle du vent et les mots franchissent les points de suspension du drapé de la chair : je bois tes seins, tu me tempêtes, j’ai des réclamations de fièvre.
Le poète égrène son chant dans un sillage de feu, pour envelopper les rives où s’affrontent la morsure des ombres.
La nuit peut aiguiser ses griffes de louve, Alain Duault se faufile sur un bûcher aux contours de neige en se disant qu’existe l’impérieuse nécessité de ne pas manquer la beauté des jours.
Nicole Hardouin
https://revue-traversees.com/tag/nicole-hardouin/
Photographie André Chaussat
GOLGOTHA
CLAUDE LUEZIOR
Préface d'Albert Longcham, sj
Éditions Librairie-Galerie Racine, Paris, 2020
Claude Luezior a rédigé ce recueil à l’âge où la vie semble un jeu, une énigme, une farandole joyeuse comme celles que savait si bien conduire François à Assise, avec la complicité de ses amis, les «tripudianti».
Est-ce un ange qui a tenu la plume de l’auteur voilà quelque cinquante ans ? Quelle force a-t-elle poussé cet adolescent rieur de 17 ans à un engagement d’une telle densité, qui troue les ronces Entre désespérance et espérance pour n’offrir que L’encre / Des prophéties ?
Déjà son regard intérieur est oasis sans nuit froide, il est conscient de la dualité du vivre : Nuit d’aveugle. Nous le sommes toujours, devant ceux que nous crucifions ; Nous avions laissé tant d’enfants sur le bord du chemin. Si jeune, il a assimilé la croyance en l’Amour Là-haut / Les paumes / Ouvertes / Du crucifié. La réalité de l’Attente : Nous étions aux abois, un credo sur les lèvres. La force du pardon : À nouveau / Respiraient / Nos mains/ Le moût / des êtres / Bouillonnait.
L’auteur sait que la délivrance est enfouie dans le gémir de l’extrême, Il était là, quelque part / En ineffable présence. Il se rend compte, tout comme Max Jacob, que la mort est céleste pour la première fois.
Luezior ayant compris la difficulté et le mystère de la Rencontre, Nos bouches tremblèrent / Entre blasphèmes et espérance, égrène ici son premier chapelet, le seul où il met ses pas dans la montée du Golgotha, versets dépouillés d’une très longue succession de textes qui, au fil des années, deviennent, dans d'autres livres, rosaire poétique dans des registres variés, sensualité, humour, attente : toujours les mots se transmuent en eau vive.
Pourtant il est à remarquer que, dans les derniers recueils de l’auteur et particulièrement dans Jusqu’à la cendre (2018) l'on retrouve des échos, l’empreinte de l’atmosphère de Golgotha, par exemple : C’est ici que suintent en désespoir balafres, cicatrices et doutes, c’est ici que dansent les blessures d’un artiste au pied de la croix, ou encore : Lorsque se condense au fond de nos entrailles l’infinie parole d’une prière. Le feu mémorise toujours ses braises.
Dans Golgotha, avec fougue, recueillement, passion, Luezior nous fait vibrer un credo sur les lèvres. C’est un livre d’heures à lire, mains jointes, comme aux premiers temps Au seuil / D’un précipice / Devant le tronc / Exfolié de paroles / Des mains / Se joignent.C’est un hymne avec Des mains de vierges / Et de femmes / Mains gothiques / Hautes comme des cathédrales / Mains des siècles /À venir.C’est un chant de silence. On était à la onzième heure / Celle où s’arrêta l’éternité. C’est l’écho de Verhaeren dans Humanité : les soirs crucifiés sur les Golgothas noirs, portons-y nos douleurs et nos cris et nos plaies.
Luezior déchire l’absence, il ouvre d’étranges portes sur le seuil de la foi. Sous la trace du cri, dans la souffrance, apparaît un visage : La douceur de la Femme / À l’enfant / Le miracle de la flamme / La flaque de lumière / Un miracle de mère. Avec des phrases réduites à l’extrême minimum, ce qui décuple leur intensité, ce recueil est une prière ardente qui s’incruste dans l’âme du lecteur. Luezior, un des plus hauts poètes contemporains, lauréat de l’Académie française, a écrit là un livre d’une force exceptionnelle, passant de la douleur à l’espoir, du sacrifice au renouveau : Nos âmes avaient fait peau neuve. La force de l’image dans sa brièveté est exceptionnelle, sa force en est décuplée.
Ce recueil est un livre d’amour, d’espoir : Le Golgotha n’était plus souffrance. Il était résurrection. On peut penser que l’auteur est un moine-poète sans bure, en ce sens où il écrit dans le silence et la solitude de son bureau qui est, au fond, son oratoire. L’adolescent a su faire face à la puissance de l’inexplicable. Tout comme Rilke, il a très tôt compris que le futur doit vivre en toi, bien avant qu’il ne survienne. Tu n’as qu’à attendre la naissance, l’aube d’une nouvelle clarté. C’est tout le cheminement de Golgotha.
Il est à souligner que les illustrations de Golgotha, mines de plomb et encres sont de l’auteur : elles ont aussi été réalisées au même âge que les textes. En les observant on pense aux encres de Cocteau. Superbe recueil qui par la magie de l’image, de la poésie, permet d’accéder à une lumière véritable.
Nicole Hardouin
CLAUDE LUEZIOR
Préface d'Albert Longcham, sj
Éditions Librairie-Galerie Racine, Paris, 2020
Claude Luezior a rédigé ce recueil à l’âge où la vie semble un jeu, une énigme, une farandole joyeuse comme celles que savait si bien conduire François à Assise, avec la complicité de ses amis, les «tripudianti».
Est-ce un ange qui a tenu la plume de l’auteur voilà quelque cinquante ans ? Quelle force a-t-elle poussé cet adolescent rieur de 17 ans à un engagement d’une telle densité, qui troue les ronces Entre désespérance et espérance pour n’offrir que L’encre / Des prophéties ?
Déjà son regard intérieur est oasis sans nuit froide, il est conscient de la dualité du vivre : Nuit d’aveugle. Nous le sommes toujours, devant ceux que nous crucifions ; Nous avions laissé tant d’enfants sur le bord du chemin. Si jeune, il a assimilé la croyance en l’Amour Là-haut / Les paumes / Ouvertes / Du crucifié. La réalité de l’Attente : Nous étions aux abois, un credo sur les lèvres. La force du pardon : À nouveau / Respiraient / Nos mains/ Le moût / des êtres / Bouillonnait.
L’auteur sait que la délivrance est enfouie dans le gémir de l’extrême, Il était là, quelque part / En ineffable présence. Il se rend compte, tout comme Max Jacob, que la mort est céleste pour la première fois.
Luezior ayant compris la difficulté et le mystère de la Rencontre, Nos bouches tremblèrent / Entre blasphèmes et espérance, égrène ici son premier chapelet, le seul où il met ses pas dans la montée du Golgotha, versets dépouillés d’une très longue succession de textes qui, au fil des années, deviennent, dans d'autres livres, rosaire poétique dans des registres variés, sensualité, humour, attente : toujours les mots se transmuent en eau vive.
Pourtant il est à remarquer que, dans les derniers recueils de l’auteur et particulièrement dans Jusqu’à la cendre (2018) l'on retrouve des échos, l’empreinte de l’atmosphère de Golgotha, par exemple : C’est ici que suintent en désespoir balafres, cicatrices et doutes, c’est ici que dansent les blessures d’un artiste au pied de la croix, ou encore : Lorsque se condense au fond de nos entrailles l’infinie parole d’une prière. Le feu mémorise toujours ses braises.
Dans Golgotha, avec fougue, recueillement, passion, Luezior nous fait vibrer un credo sur les lèvres. C’est un livre d’heures à lire, mains jointes, comme aux premiers temps Au seuil / D’un précipice / Devant le tronc / Exfolié de paroles / Des mains / Se joignent.C’est un hymne avec Des mains de vierges / Et de femmes / Mains gothiques / Hautes comme des cathédrales / Mains des siècles /À venir.C’est un chant de silence. On était à la onzième heure / Celle où s’arrêta l’éternité. C’est l’écho de Verhaeren dans Humanité : les soirs crucifiés sur les Golgothas noirs, portons-y nos douleurs et nos cris et nos plaies.
Luezior déchire l’absence, il ouvre d’étranges portes sur le seuil de la foi. Sous la trace du cri, dans la souffrance, apparaît un visage : La douceur de la Femme / À l’enfant / Le miracle de la flamme / La flaque de lumière / Un miracle de mère. Avec des phrases réduites à l’extrême minimum, ce qui décuple leur intensité, ce recueil est une prière ardente qui s’incruste dans l’âme du lecteur. Luezior, un des plus hauts poètes contemporains, lauréat de l’Académie française, a écrit là un livre d’une force exceptionnelle, passant de la douleur à l’espoir, du sacrifice au renouveau : Nos âmes avaient fait peau neuve. La force de l’image dans sa brièveté est exceptionnelle, sa force en est décuplée.
Ce recueil est un livre d’amour, d’espoir : Le Golgotha n’était plus souffrance. Il était résurrection. On peut penser que l’auteur est un moine-poète sans bure, en ce sens où il écrit dans le silence et la solitude de son bureau qui est, au fond, son oratoire. L’adolescent a su faire face à la puissance de l’inexplicable. Tout comme Rilke, il a très tôt compris que le futur doit vivre en toi, bien avant qu’il ne survienne. Tu n’as qu’à attendre la naissance, l’aube d’une nouvelle clarté. C’est tout le cheminement de Golgotha.
Il est à souligner que les illustrations de Golgotha, mines de plomb et encres sont de l’auteur : elles ont aussi été réalisées au même âge que les textes. En les observant on pense aux encres de Cocteau. Superbe recueil qui par la magie de l’image, de la poésie, permet d’accéder à une lumière véritable.
Nicole Hardouin
Les sept prénoms du vent
d'Alain DUAULT, Collection Blanche, Gallimard, 2014
Démiurge d’une nouvelle Genèse, Alain DUAULT allume ses hymnes aux sept branches d’un chandelier et : ce fut bon. Sa voix prend corps dans une beauté et un lyrisme poignants. Chaque rose a sa terre noire, chaque cœur son pal. Toutes les gammes de ses muqueuses sont miroir de nos tensions. De l’ascétisme à l’ivresse, il déchiquette les marges biseautées du grand Tout pour laisser place à la nuit lumineuse, nuit lente qui descend vers les questions interdites, celle qui donne le jardin et la promesse du fruit. Le poète, glaneur du vivre, fait surgir le gond vibratoire des mots : mots-errants, mots-orants, mots-couleur, sang du vent, cantiques de sable mêlés à des cadastres d’éclairs. Quartier de pomme pour Eve. Dans ses réceptacles de vie, ondes d’écume tissées par Aphrodite, s’originent des houles qui donnent des épices au regard.
Les couleurs, mangues ouvertes telles des cuisses, il les boit jusqu’à la brûlure extrême : celles de la cicatrice, celles du cri de Munch, celles de l’aimée : visage de l’amour enclos entre ses mains et dessiné à la craie d’étoiles.
Alain Duault hisse ses rêves dans les charrettes hurlantes du vent, complices des dieux. Il les secoue, les retourne, les casse. Bousculées, les ombres gisantes, grisantes, décombres qu’on embrasse, lui renvoient les traces âpres de cendre, celles de la dernière marée, quand les rochers sortent des fenêtres et qu’on est seul avec l’ardoise effacée.
Avec ses images-vitrail, gerbes de feu où les pétales des lys sont cernés de plomb, il trace, tel l’oiseau au ailes miroirs, les danses barbares de l’amour et de la folie. Il enroule son souffle dans les pervenches pour guetter l’aube lorsque le matin dénoue les cils et que l’aurore est un Botticelli. Il égrène un chapelet de ténèbres et la furie prisonnière du feu râpe la source des étoiles jusqu’à l’ultime fulgurance de la brisure. Dans le lierre qui ne consolide plus les fresques du vivre, il hurle son je veux mourir les yeux ouverts, lorsqu’il ne reste plus qu’à épeler les prénoms de ma solitude.
Quand Alain Duault enlace l’ombre des loups et laisse glisser ses mains dans les failles du soir, il est oiseleur d’utopie. Lorsque l’érotisme déchire ses ronces il ose aimer jusqu’à ce que la nuit en silence recule. Alors éclate sa sensualité comme la pente de l’eau jusqu’à ses reins ce vin salé et ces raisins écrasés sous les hanches solaires. Cela ne l’empêche pas de se soustraire aux mirages pour faire des trouées dans le réel. Il bat alors la mesure de la partition d’un chasseur de mémoire pour ne pas laisser l’espoir comme quand on va se pendre.
En lui se confondent la tristesse de Déméter, car les ombres ne partent jamais seules, et l’audace de la vague par temps d’équinoxe.
Alain Duault allume des flambeaux aux étoiles dans le ciel des villes. Il fouille le terreau de leur silence, il chuchote avant que la rumeur soit au jusant. De Paris à Vienne, dans une danse de couleurs, de sons, il attend pour voir les cils roses du jour débarbouiller San Giorgio Maggiore et faire chanter les hanches musiciennes de celles qui à Séville mettent au supplice les hommes en jachère.
Il y a dans les Sept Prénoms du Vent, de sulfureuses offrandes et des voiles de moniales, des caresses qui étourdissent et mordent. Le poète va au-delà du Seuil, là où veille le dragon. Quand il démâte la tristesse l’esquif du cri glisse jusqu’au rire de l’océan. Le poète laboure la forêt du temps, cherche la racine de la rose, le pourquoi de l’épine. Puis soudain, la mer, le ciel ont des visages pour rivages et les bras ont des lits voyageurs. L’amour fait la roue dans l’assaut torrentueux des marées et pourtant le Renard nous dit que si l’on bâtissait la maison du bonheur la plus grande pièce serait la salle d’attente.
Dans les Sept Prénoms du Vent, comme dans tous les recueils d’Alain Duault, il y a toujours un ange pour répondre aux miroirs du ciel.
©Nicole Hardouin
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Encore une heure
de Jeanne Champel-Grenier, Éditions France Libris, 2017
Avec douceur, Jeanne Champel Grenier retient les vibrations de son jardin enchanté, restitue les tombées soyeuses du vent, écoute l’arbre projeter son tremblement d’amour : palpitation de l’invisible.
Elle peint avec plume et pinceau l’heure du soir, celle où les oiseaux, qu’elle connaît parfaitement, cicatrisent les haies et tracent des zébrures sombres sur le canevas de la nuit à l’équerre des étoiles.
La poétesse devient fileuse, avec son rouet - feuille blanche elle tisse la ténèbre sidérante d’amplitude. Elle cisèle des nœuds sur les fils de chaîne afin de prendre le temps d’écouter la pluie bergère / qui a le cœur / à chanter / du Verdi.
Jeanne Champel Grenier est lieuse de mots, relieuse d’images qui clonent le mystère à notre portée.
La tapisserie s’allonge sur son métier à poétiser. Tapisserie des fleurs, comme au Moyen Âge, parsemée, entre autre, de lilas de violettes, de cresson, d’églantines, sans oublier oiseaux et petits animaux, telles les grenouilles qui, en s’essayant au refrain, font une chorale de bénitier.
L’auteure passionnée par la nature en est très proche. Elle retient le temps qui s’y égoutte. Avec patience, en filant ses textes, elle entrecroise fantasme et raison, odeurs et couleurs pour le bonheur de ses lecteurs.
Les saisons défilent : les pâquerettes / signent / juin / au coin du foin/. Et lorsque les premiers frimas ondulent sur les petites aubes, la douceur / quitte son lit / d’églantier.
Ce recueil est un hymne vibrant à l’univers, il foisonne de couleurs quiétude de safran, d’odeurs les graviers / de l’allée / gardent en otage / contre rançon / le parfum des lilas.
Jeanne Champel Grenier se fond dans chaque jour, elle sait en retenir la quintessence pour la faire partager à son lecteur. Elle y trouve la saveur des premiers matins en ayant le sentiment / profond / d’appartenance / au tout / tendant vers la filiation. Elle retrouve ce temps où ciel et terre ont rompu leurs étreintes pour laisser éclater le bleu de l’Origine, ce bleu qui tremble encore de tous les possibles, de tous les devenirs de l’ascétisme à l’ivresse.
Mais oui, Jeanne Champel Grenier, Encore une heure et plus pour vos lecteurs afin de leur apporter la sérénité qui émane de ce recueil et dont le monde a tant besoin.
Retenons les observations, ces petites choses qui apaisent puisque avec Jeanne Champel Grenier s’écouleront / les heures des fontaines / qui parlent patois / dans leur sommeil.
À travers les griffures du temps, lorsque l’auteure, dans un déluge d’encre, sculpte la douceur de la nature, une onde de braise frémit. Le feulement du vent trouble l’inertie de l’eau, l’ombre prend feu.
Hypogée du rêve.
Nicole Hardouin
https://revue-traversees.com/tag/jeanne-champel-grenier/
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Photographie André Chaussat
Israël depuis Beaufort
de Richard MILLET, Éditions Les Provinciales
Petit livre de par son format mais grand de par la réflexion qu’il entraîne. Paru voilà quelques mois, hormis Valeur Actuelle (B. Césolle), Causeur (P. Sagar), Action Française (P. Mesnard), le Littéraire.com (J.P Gavard-Perret), peu d’échos dans la presse et les médias. Pourquoi ce silence, alors que tant de livres, sans valeur littéraire, sont encensés ? Ce livre serait-il mal écrit ? Oh non, bien au contraire. Dans une époque où l’orthographe est devenue hésitante, la syntaxe flottante, avec la quasi disparition du subjonctif, du futur simple, des semi-auxiliaires, de la ponctuation, le très précieux point-virgule s’efface, ce livre tranche. Serait-il trop pornographique ? Si c’était le cas des critiques sirupeuses auraient été égrainées. Serait-il sans valeur intellectuelle ? Bien au contraire, il fait réfléchir.
Si ce livre est resté en dehors des circuits médiatiques c’est juste parce que c’est RICHARD MILLET qui l’a rédigé. Millet le Banni, faut-il rappeler ma lapidation par ceux qui agitaient comme une bannière d’infamie le mot de « Phalangiste » c’est-à-dire fasciste ; Millet le catholique, la foi étant une méditation sensible sur le temps et l’acceptation de la Loi… dans une époque où la menace de l’Islam est proportionnelle au vide ouvert par la déchristianisation qu’on tente de penser, donc d’évacuer dans des formules comme crise de conscience européenne. Millet qui n’attend rien, mais sait battre sa coulpe quand il le faut si je parle tant de moi, ici, ce n’est pas orgueil ni complaisance mais parce que j’ai mis tout mon espoir dans la littérature, dès l’âge de quinze ans, et que la littérature a été un accomplissement de ma foi.
L’auteur n’oublie rien de son enfance au Liban, (il parle couramment l’arabe) si près d’Israël et le sang juif et l’être juif se confondent dans l’universalité à laquelle je participe par le baptême et par cet héritage qui porte le nom de culture.Voilà aussi où le bât blesse. Dans le sans valeur actuel, surtout effaçons tout ce qui nous origine, soyons sans racines, sans glaise, Millet revendique plus que jamais l’héritage de Jérusalem, avec celui d’Athènes et celui qui a commencé, chez nous, avec la Chanson de Roland, qu’on ne saurait étudier à l’école, puisqu’il y est question de Charlemagne et des Sarrasins, et que tout est fait aujourd’hui pour effacer aussi cette origine.
Millet sait émouvoir lorsqu’il raconte le moment où B. Chaouat, Juif français d’origine tunisienne, est demeuré près de lui pendant toute une messe latine, présence qui n’avait rien de fortuit, mais qui était une manifestation de l’alliance à laquelle le chrétien doit sa survie et sa force. L’auteur rejeté n’est pas un ingrat lorsqu’il rend hommage à un autre Juif, l’éditeur Léo Scheer qui, en me confiant la rédaction de sa Revue Littéraire, m’a donné l’occasion de mettre fin à l’exil où je vivais depuis deux ans.
Oui, Millet peut être excessif, il interpelle, agace, dérange, n’est-ce pas la marque des grands penseurs au travers de l’histoire ? Ne prenons qu’un seul exemple: celui du philosophe juif Spinoza exclu, par le herem de sa communauté, l’a-t-on oublié ?
Richard Millet le proclame haut et fort, n’y a-t-il pas toujours un juif qui témoigne pour moi, sinon en moi, chrétien ainsi chargé de lui témoigner une éternelle reconnaissance. Fidélité à l’Alliance millénaire ; comme le lui a dit, une fois, son ami Edmond Jabès : à l’âge d’un juif il faut toujours ajouter trois mille ans d’histoire.
Israël depuis Beaufort n’est pas qu’un essai politique, c’est aussi l’expression de la pâte dont Richard Millet est pétri.
Nicole Hardouin
https://revue-traversees.com/2016/07/31/richard-millet-israel-depuis-beaufort-editions-les-provinciales-12-euros/
Et la parole s'est faite nuit
de Jean-Louis BERNARD, Editions de l’Atlantique
Au cœur de l’opacité bousculée, dans la brutalité de l’advenu Jean Louis Bernard fouaille l’inadvenu, réceptacle de la démesure du passé ; dans la Parole, il recueille la criée des silences.
Comme l’alchimiste délivrant l’âme de la matière, dans la lente blancheur du surgissement accolé à la nuit de pierre,il perçoit son éclatement dans une errante immobilité, dans l’athanor de sa page déjà imprégné de tremblements, les nœuds de rupture cherchent à retrouver leur point d’attache dans le creuset du Signe.
Jean Louis Bernard est ce ceux, rares qui, dans l’ultime limaille de lumière, savent et peuvent aller au-delà du puits sans fond, sans faire saigner les parois, il franchit les herses du temporel pour recueillir le souffle, impalpable sève d’un arbre perdu, enfoui dans la quiétude de l’oubli.
Jean Louis Bernard est dans une marche lente ; immobile, il avance entre soufre, souffle, entre cendre et flamme. Prenant le pouls de la nuit, il s’origine dans l’ombre d’une île stellaire, à l’instar de Rilke, il écoute le souffle de l’espace, le message incessant qui est fait de silence.
Il chemine sur nulle piste sauf, celle du feu, ancre de mémoire sauf, celle du vent desserrant les plissés du temps pour laisser couler les torrents où se perdent les racines du bleu initial, ce bleu d’avant naître. Le poète s’abreuve alors aux rives fondatrices, afin de renouer avec l’alliance perdue, afin de réconcilier l’eau primordiale avec le feu des météores, ce feu frémissant de toutes les confidences d’une genèse enfouie, cette eau, palpitante au sein du désir, parole mouillée à peine perceptible dans la notion de pluie / mais juste assez peut-être / pour enter dans le sanctuaire du souffle.
Jean Louis Bernard est à l’écoute d’un paradis entrevu car perdu, il est, à l’instar de Michaux,
le passager de son propre infini.
Dans la salive du temps, rosée du premier matin, il nous entraîne au-delà du seuil, là où veille le dragon. Alors, face à l’Orient, dans la patience de la poussière, dans une éblouissante cécité, le vent réinvente l’alphabet.
Jean louis Bernard, poète-alchimiste, nous donne les clés de l’absence, il suffit de lire les syllabes du sable sur l’améthyste du ressac, là où frémit le sillage de braise.
Dans ce recueil, bréviaire de la nuit, nous psalmodions la Parole retrouvée et resplendit la soie de nos brûlures.
©Nicole Hardouin
https://revue-traversees.com/.../jean-louis-bernard-et-la-parole-sest-faite-nuit-editions-de
Photographie André Chaussat
Narcisse & Cie
d'Antoine de MATHAREL, Ed. Editinter, 2013
Je voudrais inventer un mot / qui dirait tout ce que j'aime, écrit le poète. Ce mot, Antoine de Matharel l'a trouvé : mot-miroir, où ombres, amour, mélancolie, regrets, cicatrices nous enserrent : mot d'où la vie s'écoule.
La vie, celle qui fauche les mirages quand l'après-pluie n'aura plus d'arc-en-ciel, celle qui ronge les cicatrices quand tout le corps saigne entre tes dents de louve, celle qui estompe les tourments de l'âme dans l' holocauste de la lumière comme l'oiseau supplicié mourait sur le soleil.
La vie, celle qui exalte l'insurrection de la passion quand c'est moi qui, donne forme aux jeux de ton épaule et qui incendie les regrets.
C'est donc bien la chair, le sang de l'homme et le génie du poète que le recueil nous offre dans ce résumé de cinquante ans d'écriture. C'est poussé par ses proches, ses amis, tous ceux, nombreux, qui apprécient sa culture, son sens du mot et de l'image, son attention à l'autre, ses écrits dans Poésie sur Seine et ce depuis vingt ans, c'est pour ces raisons qu' Antoine de Matharel a eu la volonté de s'arrêter au bord du puits-miroir ; il en a remonté l'eau, les étoiles et des soleil noirs. Le poète s'écartèle, souvent d'ailleurs avec pudeur, je dirai que c'était la pluie, il laisse écouler sa sève dans la sérénité des choses simples de la nature avec le temps des branches que l'on tronçonne, il s'engloutit dans la voracité de la chair, ton sexe sous ma main devient une caresse.
Matharel a eu la force d'aller derrière le miroir et aller au-delà est toujours angoissant car le dragon, gardien du seuil veille, on peut ne pas en revenir, ou naître une seconde fois pour le meilleur et pour le pire...
Ce recueil multiforme, aux textes forts qui ne laissent jamais insensibles, est nimbé de mélancolie, triste et belle comme un reposoir pour reprendre l'expression de Baudelaire, si cher à l'âme du poète.
Nicole Hardouin.
Pour lire l'intégralité de la recension, cf la revue Poésie sur Seine, numéro 81/82 mars 2013
d'Antoine de MATHAREL, Ed. Editinter, 2013
Je voudrais inventer un mot / qui dirait tout ce que j'aime, écrit le poète. Ce mot, Antoine de Matharel l'a trouvé : mot-miroir, où ombres, amour, mélancolie, regrets, cicatrices nous enserrent : mot d'où la vie s'écoule.
La vie, celle qui fauche les mirages quand l'après-pluie n'aura plus d'arc-en-ciel, celle qui ronge les cicatrices quand tout le corps saigne entre tes dents de louve, celle qui estompe les tourments de l'âme dans l' holocauste de la lumière comme l'oiseau supplicié mourait sur le soleil.
La vie, celle qui exalte l'insurrection de la passion quand c'est moi qui, donne forme aux jeux de ton épaule et qui incendie les regrets.
C'est donc bien la chair, le sang de l'homme et le génie du poète que le recueil nous offre dans ce résumé de cinquante ans d'écriture. C'est poussé par ses proches, ses amis, tous ceux, nombreux, qui apprécient sa culture, son sens du mot et de l'image, son attention à l'autre, ses écrits dans Poésie sur Seine et ce depuis vingt ans, c'est pour ces raisons qu' Antoine de Matharel a eu la volonté de s'arrêter au bord du puits-miroir ; il en a remonté l'eau, les étoiles et des soleil noirs. Le poète s'écartèle, souvent d'ailleurs avec pudeur, je dirai que c'était la pluie, il laisse écouler sa sève dans la sérénité des choses simples de la nature avec le temps des branches que l'on tronçonne, il s'engloutit dans la voracité de la chair, ton sexe sous ma main devient une caresse.
Matharel a eu la force d'aller derrière le miroir et aller au-delà est toujours angoissant car le dragon, gardien du seuil veille, on peut ne pas en revenir, ou naître une seconde fois pour le meilleur et pour le pire...
Ce recueil multiforme, aux textes forts qui ne laissent jamais insensibles, est nimbé de mélancolie, triste et belle comme un reposoir pour reprendre l'expression de Baudelaire, si cher à l'âme du poète.
Nicole Hardouin.
Pour lire l'intégralité de la recension, cf la revue Poésie sur Seine, numéro 81/82 mars 2013
RUINES DE LARCHANT, encre de Gérard Bouilly
Sur les pas d'André Suarès en Gâtinais
de Paris aux environs de Fontainebleau
On s'arrête au sommet de la crête. la toute roule vers le fond du val, d''où un haut et puisssant doigt s'élève : le clocher de Larchant. Ury, Souppes et Ferrières, Malherbes et Puiseaux, Montargis et Nemours, c'est un fait : on ne voit plus que Larchant. (A Suarès, Portrait sans Modèles, Grasset Paris, 1936)
Ces quelques lignes montrent combien les entailles de la pierre, les ruines si riches de leur passé et inquiètes de leur devenir, ont ému A. Suarès, écrivain à l'extrême sensibilité d'une acuité, d'une finesse véritablement exceptionnelle, ressort et tare de son puissant tempérament d'artiste. (M. Diestchy, le Cas A; Suarès, La Braconnière; Neuchâtel, 1967).
Ce passionné a vibré en ce lieu chargé de signes, d'ondes, d'histoire, de sacré. A. Suarès ( 1868 - 1948) a effectué de nombreux séjours, plus ou moins longs, aux environs de Fontainebleau. Seuls retiendront vraiment son attention : Larchant, le Prieuré de Villecerf en 1934, Nemours en 1939...
Cognacq, son ami et bienfaiteur, petit neveu du fondateur de la Samaritaine, possédait une école d'horticulture aux Pressoirs du Roy, près de Fontainebleau, sachant le peu de moyens de Suarès et son désir d'évasion, il le recommande aux deux religieuses occupant alors le Prieuré de Villecerf, tout près de là...
A Suarès veut avant tout sauvegarder sa tranquillité. Ainsi au reçu d'une lettre de son ami Rouault qui lui écrit : on me demande s'il y a pension au Prieuré....( correspondance Rouault Suarès, Gallimard ), le même jour Suarès lui répond : sachez-le, mon cher Rouault, et grondez, montrez vos dents, qui se permet de livrer mon adresse ? Je ne l'admets en aucun cas. Vous êtes si jaloux de vos secrets, aidez-moi à défendre les miens. Le Prieuré n'est pas un hôtel meublé le moins du monde. On ne reçoit ni pensionnaires, ni touristes. Nous n'y sommes qu'à titre privé. quant aux conditions et au pourquoi de ma présence, je n'entends pas m'en expliquer. Suarès est irascible...
Nicole Hardouin
Pour lire les paragraphes suivants de la vie au Prieuré, Saint Mathurin de Larchant, promesses et malheurs, dernières volontés,
cf : Poésie sur Seine, Numéro 76, printemps 2011.
Photographie Jean Dornac
Recensions sur le site Recours au poème
Ces douleurs mises à feu
de Claude LUEZIOR, Ed. Les Presses Littéraires, 2015
Lorsque CLAUDE LUEZIOR, l’un des premiers stylistes contemporains, comme le souligne le poète Jean-Louis Bernard, laboure les broussailles de l’aube aux reflets de lignite, les mots/ tels des loups se lancent à sa poursuite. Somptueux hallali où résonnent en gonds vibratoires des images qui s’encastrent dans les armatures de l’ossature du destin.
Passant de l’ivresse à l’ascétisme, l’angoisse en bandoulière, complice des dieux, il dérègle l’heure du malin ; et lorsqu’il met ses douleurs à feu, l’aube devient alors plus lumineuse. Claude Luezior n’est pas pour autant pyromane : en Vulcain moderne, il actionne sa forge matinale pour faire jaillir la lumière sur le rivage de cormorans, là où volètent des arpèges parfumés. Même si , parfois, le feu a des avant-goûts de cendre, ce sont des cendres de rosée. La germination pousse sous la braise. Se constitue alors un livre d’heures, une caverne où stalagmites et stalactites se tutoient, se tressent. À chacun d’y pénétrer pour entrer en résonnance avec le poète.
Claude Luezior est torturé de doutes, de promesses/qui délivrent, de croyances qui empoisonnent, il prie entre l’angoisse du devenir et la trace du souvenir. Il est un navire qui voit souvent l’horizon se noyer dans des ombres au sourire de bruine. Alors se rapproche le seuil dans les caprices d’un crépuscule qui rôde. Même si aller au-delà du seuil est toujours angoissant, dans la texture/ de mes insomnies/ errent sans cesse/ des loques impies : celles de la camarde, la peur ne taraude pas le poète à condition de mourir / pour quelque chose d’utile / pour quelqu’un. Dans ses textes qui bourgeonnent, se concentrent/ les saveurs du désir / où se réfugient / les velours/ d’une tendresse. Chez Luezior, le désir brûle toujours jusqu’aux bornages de la souffrance.
Ce recueil de poèmes est un labyrinthe où la glace donne des coups de poings, où les flammes dansent avec les douleurs du grand Feu. C’est un miroir pour mettre à plat les cicatrices de la vie, c’est une porte pour fuir des enclos de haine, pour assécher les vertiges assassins.
À la lisière de l’imperceptible, Claude Luezior est un allumeur de réverbères, toujours en marche pour recommencer cet exercice obscur et indispensable qui vaut surtout comme une aventure ou ainsi que le disait Yves Bonnefoy une incitation à se risquer dans l’inconnu.
Cet opuscule est un grand livre à conserver à portée d’âme car ses hymnes tactiles conduisent à l’intangible pour goûter ensemble /aux miels subtils délivrés en un nectar d’éternité.
Avec le poète Claude Luezior il y a toujours une voie : celle de la Lumière dont le monde a tant besoin.
Nicole Hardouin
PS : illustration en première de couverture (ci-dessous) : tableau de Gil Pottier : La douleur d'Orphée, huile sur toile, 120 x 60 cm
Une Dernière brassée de lettres
de Claude LUEZIOR, Ed. tituli, Paris, 2016
Aujourd’hui, hélas, on n’écrit plus guère, on envoie des courriels souvent porteurs de banalités ou des sms à l'écriture glauque. Que chacun se demande : à quand remonte la dernière lettre reçue, hormis papiers d’affaire et publicité ?
L’art de la correspondance aurait-il complètement disparu ?
Heureuse surprise, dans ce recueil, UNE DERNIÈRE BRASSÉE DE LETTRES, Claude Luezior, que nous connaissions comme essayiste, romancier, poète, nous fait redécouvrir, en Voltaire moderne, les plaisirs d’un courrier sensible, drôle, tendre, voire piquant. Il déploie les mots de l’envers quand les ourlets sont décousus. S’étalent alors devant le lecteur bon nombre des travers de notre société.
Chacune de ses missives a un ton particulier. Nous pensons à Rilke qui écrivait : si tu veux réussir à faire vivre un arbre, projette autour de lui l'espace intérieur qui réside en toi. Il nous semble que ces lignes s'appliquent parfaitement à Luezior qui, depuis des années et sous plusieurs formes littéraires, fait vivre sa pensée grâce à une forêt de mots et d'images aux essences diverses.
Lettres-réverbères tissées dans les murs du silence, lettres-miroirs où s’abaissent les masques. Lettres-foudre où passe l’orage, lettres-visages où luit le visage de L’Homme, nu dans ses déchirures. Lettres qui tirent l’eau du puits pour mieux nous abreuver.
Dans ses trente-deux textes aux tonalités différentes, l’auteur s’adresse à des correspondants multiples et inattendus.
Avec humour, le voici qui cite sa correspondante : avez-vous pensé à la santé pulmonaire des contractuelles ? C’est certain leurs alvéoles ne sont pas moins précieuses que les vôtres. Avec réalisme, l'écrivain-soignant interpelle un assureur sans âme : tu me parles client, je te dis patients qui souffrent... Avec sa plume acerbe, il écorche le Politicien : tu étais sur ces estrades où bivouaquent le pouvoir, ensorcelant la plèbe de tes verbiages et de tes promesses. Dans ta nasse frémissante, la soif des uns, la concupiscence des autres.
Le médecin Luezior apparaît souvent de façon poignante. On sent l’homme à l’écoute d'un être qui attend tout de lui. Pour exemple, sa Lettre à la Mère d’un enfant handicapé : quand on est dans le faire et que l’on ne peut pas. Dans sa Lettre à Maison de Retraite, on ne peut également que partager le regard sans concession mais tellement sensible du neurologue sur les résidents qui résident sans résister, alignés comme noix sur un bâton... Claude Luezior sait aussi, sabre au bout de sa plume, souligner les travers d’un système qui coule (ou s'écroule ?) de plus en plus en vite. Ainsi, dans sa Lettre à Tambour battant : on t’a donné des buts que seul un compte en banque reconnaîtra. On t’a légué l’arythmie d’un temps social que tu as perdu, une progéniture que tu n’as vue grandir, une femme qui ne te reconnaît plus. Une complicité s’établit instantanément entre le créateur et le lecteur. Lequel, devant la pâte de Luezior, se fait levain.
L’auteur dénonce avec humour les idoles de cette même société : qu’un adolescent ait vu, tous médias confondus, dix ou quarante mille meurtres jusqu’à sa maturité ne suffit pas... Encore Monsieur le Programmateur, encore ! Vous trouverez bien un psychologue pour clamer que cela n’est d’aucune importance, (Lettre à ma Chaîne de Télévision). Par ailleurs, la tendresse est souvent présente: dans une Lettre à ma Cousine, le poète se souvient de ses premiers émois d’adolescent devant cette superbe jeune fille : tes doigts d’ange déposent sur le gramophone un disque de Barbara : l’Aigle noir tournoie. Ton buste se fait souple, tes lèvres brillent. Je ne sais si je suis envoûté par les transes du vinyle ou par ta présence. Pudeur et parfums se tressent avec délicatesse.
Ces lettres sont des tourbillons, des valses lentes. Ce sont des pensées qui se donnent, se prennent et que l’on retient. Fusion, effusion, îles secrètes où s’ouvrent les tabernacles et se cassent les éperons. Le lecteur vit pleinement cette correspondance où l'on observe un quotidien qui nous échappe, où irradie un Essentiel que l’on occulte si souvent.
Comme l’écrit Claude Luezior : avec dix grammes d’écriture, mettons le feu au désert que l’on nous propose. La poésie n’est pas langue morte. Elle ne cesse de vivre au pays de Canaan. Mais pour cela, Poète, quitte ta tour d’ivoire : ensemble, il faut marcher !
En refermant ce recueil, nous n'émettons qu'un regret : mais pourquoi donc Une dernière brassée de lettres ? Non, encore une gerbe ! Encore ! Et que flambe la joie de lire ces lettres-portes pour vivre au-delà des lignes qui ensemencent la lumière !
Nicole Hardouin
https://www.recoursaupoeme.fr/?s=luezior
Jusqu'à la Cendre
de CLAUDE LUEZIOR, Ed L.G.R., Paris, 2018
LIMINAIRE
Main dans la glaise du langage, Luezior pourfend les orages de la violence lorsque goutte à goutte / leur sang/ ne cesse / de ruisseler / jusqu'à nous. Il plante ses banderilles dans les convulsions du quotidien : l’enfant sans âge se colle / à un sein lactescent / sur le pavé se confondent / leurs corps de misère.
Penché sur les torsions de la douleur, il palpe les versets de la souffrance, essaie de déjouer les ruses incongrues du mal pour colmater le trop mince filet de sève. Résistance.
Grand veneur, il conduit sa meute de mots jusqu’au seuil de l’hallali. Alors, dans les zébrures du soir, au rythme des heures où gémissent encore les silences, le cortège des ombres lentement s’étire et floconne sa solitude. Combat.
Tissage de rêveries, armoiries de souvenirs encore vivaces, serments devenus chauves-souris, lieu de caresses que les heures ont momifiées. Mais, dans cette âpreté existentielle, parfois, d’une épaule / peuplée de tendresse montent des semailles de lumière. Avant que ne s’ébruitent / les fureurs de la ville, le poète écaille les tessons du rêve. Duel.
Claude Luezior, braconnier d'une ivresse, entre les franges d'une aube en gésine où naissent les énergies de nos lèvres offertes, conserve sur ses rivages des baies écarlates : vers toi j'ouvre mes paupières. Il caresse des braises qui corrodent et s’enfoncent dans le jardin premier / à portée de regard. Promesse.
À la reliure des cicatrices, quand se dévoile l’épure sacrée de tes désirs, les rives du poète chavirent de gourmandise. La lie devient ambroisie pour découdre / lèvres à lèvres / l’impudeur d’un jouir / en ce dédale où jaillissent des geysers interdits.
Dans ce recueil se côtoient la violence, la vie sacrifiée par la vie, la mort qui entrouvre l’ossuaire de ses secrets, le djihad et ses vengeance poisseuses / qui ne sont que reliefs d’une haine. Mais aussi la compassion et l’amour, omniprésents, hiératiques : affamés de tendresse, les mots adoptent la coagulation d'un silence. Le poète insatiable traduit le fracas en musique, le désordre en lettres d’or.
Incessante dualité : au cœur de la trame, veille malgré tout la camarde. Éros et Thanatos sédimentent Jusqu'à la lie. S'écorchent les neurones en dérive / qui vaguent et divaguent, jusqu'à la déstructuration de la page dans le texte Alzheimer au lieu d'aimer. Comme si cette lie de Luezior était l'ultime supplique écrite par la démence elle-même. Bataille acharnée, perdue d'avance, dans la noirceur espérante d'une désespérance.
Illustration première de couverture , voir en-dessous :
Au delà du tunnel, toile du peintre Jean-Pierre Moulin, huile, 80x80cm
Nicole Hardouin
de CLAUDE LUEZIOR, Ed L.G.R., Paris, 2018
LIMINAIRE
Main dans la glaise du langage, Luezior pourfend les orages de la violence lorsque goutte à goutte / leur sang/ ne cesse / de ruisseler / jusqu'à nous. Il plante ses banderilles dans les convulsions du quotidien : l’enfant sans âge se colle / à un sein lactescent / sur le pavé se confondent / leurs corps de misère.
Penché sur les torsions de la douleur, il palpe les versets de la souffrance, essaie de déjouer les ruses incongrues du mal pour colmater le trop mince filet de sève. Résistance.
Grand veneur, il conduit sa meute de mots jusqu’au seuil de l’hallali. Alors, dans les zébrures du soir, au rythme des heures où gémissent encore les silences, le cortège des ombres lentement s’étire et floconne sa solitude. Combat.
Tissage de rêveries, armoiries de souvenirs encore vivaces, serments devenus chauves-souris, lieu de caresses que les heures ont momifiées. Mais, dans cette âpreté existentielle, parfois, d’une épaule / peuplée de tendresse montent des semailles de lumière. Avant que ne s’ébruitent / les fureurs de la ville, le poète écaille les tessons du rêve. Duel.
Claude Luezior, braconnier d'une ivresse, entre les franges d'une aube en gésine où naissent les énergies de nos lèvres offertes, conserve sur ses rivages des baies écarlates : vers toi j'ouvre mes paupières. Il caresse des braises qui corrodent et s’enfoncent dans le jardin premier / à portée de regard. Promesse.
À la reliure des cicatrices, quand se dévoile l’épure sacrée de tes désirs, les rives du poète chavirent de gourmandise. La lie devient ambroisie pour découdre / lèvres à lèvres / l’impudeur d’un jouir / en ce dédale où jaillissent des geysers interdits.
Dans ce recueil se côtoient la violence, la vie sacrifiée par la vie, la mort qui entrouvre l’ossuaire de ses secrets, le djihad et ses vengeance poisseuses / qui ne sont que reliefs d’une haine. Mais aussi la compassion et l’amour, omniprésents, hiératiques : affamés de tendresse, les mots adoptent la coagulation d'un silence. Le poète insatiable traduit le fracas en musique, le désordre en lettres d’or.
Incessante dualité : au cœur de la trame, veille malgré tout la camarde. Éros et Thanatos sédimentent Jusqu'à la lie. S'écorchent les neurones en dérive / qui vaguent et divaguent, jusqu'à la déstructuration de la page dans le texte Alzheimer au lieu d'aimer. Comme si cette lie de Luezior était l'ultime supplique écrite par la démence elle-même. Bataille acharnée, perdue d'avance, dans la noirceur espérante d'une désespérance.
Illustration première de couverture , voir en-dessous :
Au delà du tunnel, toile du peintre Jean-Pierre Moulin, huile, 80x80cm
Nicole Hardouin